Mon amie Galia

Me remémorant son visage, deux images me viennent spontanément à l’esprit : l’image d’un roc, et celle d’un phare, un phare de sagesse et de paix.
Nous nous sommes rencontrées pour la 1ère fois il y a 18 ans. Elle arrivait comme « pensionnaire » dans la « Maison des vétérants » où je commencais alors à travailler comme animatrice. L’établissement était situé à la périphérie de Novgorod, là où étaient regroupés d’autres établissements tels que: hôpital psychiatrique, orphelinat, Centre pour personnes handicapées. Galia arriva juste pour fêter ses 60 ans. Sa Maman, une vieille femme de la campagne, vivait encore dans sa petite cabane de bois, mais, âgée de 89 ans, elle ne pouvait plus prendre soin de sa fille, étant elle-même fortement diminuée physiquement. Galia s’était donc retrouvée du jour au lendemain dans cette maison de personnes âgées, la plus jeunette de tous. Une maladie dégénérative l’avait, dès son adolescence, progressivement clouée sur un fauteuil roulant, que, depuis l’âge de 16 ans, elle ne quittait que pour regagner son lit. Son petit frère était mort de la même maladie dans son enfance, tandis que son frère aîné avait échappé à cette tragique hérédité.
L’arrivée de Galia dans la maison de retraite s’effectua sans bruit, on la mit dans une chambre avec une compagne fort avancée en âge. Pas une fois elle ne se plaignit, arborant toujours un grand sourire et exprimant en toute occasion sa gratitude aux membres du personnel et à toute personne lui apportant quelqu’aide que ce soit, ou venant simplement la visiter. Nous avons très vite sympathisé, et au fil des ans une véritable amitié se noua entre nous. Plus je la regardais vivre, plus je m’émerveillais : d’où cette femme, lourdement handicapée, dépendante de tous en chacun de ses besoins, tirait-elle sa joie ? Commment pouvait-elle garder un imperturbable sourire -qui n’était pas de façade- et une sérenité que beaucoup lui enviaient ? Sa douceur cachait cependant une grande force de caractère, un caractère sur lequel elle exercait une maîtrise devenue avec le temps presque naturelle, car elle avait combattu de longues années pour arriver à se vaincre...
Galia etait croyante -orthodoxe- et avait une relation à Dieu toute de confiance et de gratitude. Elle s’ouvrait à Lui de tous ses besoins avec une confiance filiale totale, et Dieu ne la décevait pas. Elle avait fait installer un « coin icône » à l’angle de la partie de la chambre où elle logeait, et elle priait beaucoup, contemplant inlassablement ses icônes bien–aimées.
Avec Galia, nous avions de longues conversations «spirituelles » au sens large du mot. Galia était une fille de la campagne douée d’un extrordinaire bon sens - Elle avait aussi énormément d’humour, et on ne s’ennuyait jamais avec elle. Elle manifestait une grande tolérance vis à vis des gens, de leurs égarements, voire de leur péché. Elle ne jugait jamais, ne condamnait jamais. Elle mettait l’amour au-dessus de tout.
Galia devint rapidement l’amie et la confidente de tous les membres du personnel, et tous la respectaient, l’aimaient, l’admiraient. Chacun(e) venait lui parler, qui de ses problèmes de coeur, qui de ses soucis familiaux, qui de ses maladies, et trouvait toujours une écoute attentive et bienveillante ... On venait la consulter, se faire consoler, et l’on repartait apaisé.
Galia était habillée très simplement, des années durant je l’ai vue vêtue de la même « tunique » de coton à grosses fleurs rouges : elle ne demandait jamais rien pour elle-même, se contentant de ce qu’elle avait, de ce qu’on lui donnait. De loin en loin, son grand frère arrivait en voiture de Pétersbourg et lui apportait des bonnes choses qu’elle s’empressait de partager.
Quand je cessais de travailler dans cet établissement, je continuais à venir la voir aussi souvent que possible. Quel que soit le moment de la journée où j’arrivais, elle insistait pour que je mange quelque chose. Faisant preuve en cette circonstance d’une autorité à laquelle il etait difficile de se soustraire, elle me « forçait » à ouvrir telle ou telle boîte de conserve, une boîte de chocolats, ou quelqu’autre bonne chose qu’elle avait reçu ; si je persistais dans le refus, je la voyais tellement peinée que je revenais sur ma décision ! Plusieurs fois même, il m’a fallu accepter quelques pièces ou billets qu’elle voulait offrir pour notre communauté...
Galia avait des jambes atrophiées qui ne la portaient pas, mais elle pouvait tenir assise, très droite, sur une chaise sur-élevée, et c’est ainsi que je l’ai connue de longues années, avant que l’âge et la maladie ne l’obligent à s’aliter.Ses mains étaient aussi atteintes par une déformation, et elle arrivait avec peine à manger toute seule. Mais elle avait appris à composer les numéros de téléphone sur son portable, ce qui me semblait à chaque fois relever de l’exploit ! A mon départ de Novgorod en 2001, nous avons ainsi pu rester en lien, elle me téléphonait aux grandes fêtes et pour mon anniversaire, et nous échangions des nouvelles avec beaucoup de joie ! A chaque fois que j’avais l’occasion d’aller à Novgorod (envrion 1 fois par an) je ne manquais jamais d’aller la voir, et sa mémoire époustouflante me confondait : elle me demandait des nouvelles de mes parents dont elle se souvenait non seulement du prénom mais des problèmes de santé , elle se rappelait de toutes les personnes de ma famille dont je lui avais parlé, de mes amis, des personnes pour lesquelles je me faisais du souci et pour lesquels je lui demandais de prier. Et elle me demandait : Comment va ton neveu maintenant ? Et ton amie avec ses 2 enfants adoptés ? Et ce prêtre italien que tu m’as amené il y a 2 ans ? Et cette jeune allemande ? Et celle-ci qui venait de se marier et qui... etc ...
Quand j’étais découragée, tentée parfois de juger telle personne ou de réprouver tel comportement parmi mes proches, elle me disait : « regarde : qu’est-ce qui est important, le plus important ? Toute personne cherche le bonheur, c’est tellement normal. Et même si l’on se trompe, Dieu pardonne... ». Instruite par l’expérience, je ne pouvais qu’acquiescer, et je repartais avec plus de miséricorde et de paix dans le coeur.
Un jour, le visage grave, elle me demanda: « Françoise, dis-moi pourquoi les gens n’arrêtent pas de se plaindre, de crier qu’il leur faut ceci et cela, et toujours plus pour être heureux ? Je ne comprends pas. Ils ont des jambes qui les portent, des mains qui travaillent, ils vont et viennent comme et où ils veulent, ils ont un toit et de quoi manger. Pourquoi les gens s’estiment-ils si malheureux lorsqu’ils ont tout ce qui est nécessaire pour vivre et être heureux ? »...
Ces dernières semaines, sans m’expliquer pourquoi, je pensais souvent à Galina, et m’apprêtais à lui téléphoner. Mais avant que je ne le fasse, je reçus moi-même un coup de fil -je reconnus son numéro et m’appretais à lui dire ma joie de son appel, mais c’est une voix féminine inconnue qui s’exprima. Cette voix m’apprit le décès de mon amie 3 semaines plus tôt. J’ai voulu savoir comment cette femme avait trouvé le moyen de me joindre, elle me dit :« Je vous connaissais par Galina, qui parlait de vous. J’ai cherché votre nom sur son portable pour vous prévenir. Je voulais simplement vous dire: soyez tranquille, Galina est morte comme une sainte. » Elle me dit que Galia s’était brusquement sentie très mal. Au début, elle avait pris peur, puis elle s’etait apaisée, et quand la fin se fit toute proche Galia a souri et a dit : « je suis prête », avec un regard rempli d’amour et de joie.

Françoise fmm

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