« N’emportez ni argent, ni sac, ni sandale… » (Lc 10, 4)
Itinérance franciscaine en Haute-Vienne du 13 au 18 avril 2015
Envoyées pour vivre une semaine missionnaire originale typiquement franciscaine, que l’on appelle itinérance, nous sommes parties à trois sœurs dans une région du centre de la France à la rencontre des personnes que le Seigneur mettrait sur notre route. Parties sans provisions ni itinéraire, nous avons frappé à la porte des gens pour quêter notre nourriture et notre logement. Avec des motivations différentes, nous avons vécu ce temps en communauté fraternelle à l’exemple de Saint François d’Assise en nous laissant conduire par le souffle de l’Esprit Saint. Voici quelques notes de notre journal où nous avons inséré quelques récits de rencontres.
Lundi 13 avril : c'est le jour de notre arrivée. Le Père Jean-Pierre nous attend sur le quai de la gare de Bellac pour nous amener à Blond, village où doit se dérouler notre séjour missionnaire. Dans la petite église où le curé a prévu de célébrer l'Eucharistie avant de nous envoyer en mission, quelques paroissiennes nous accueillent chaleureusement.
À la fin de la célébration d’envoi, nous écoutons un extrait d’Éloi Leclerc, franciscain : « As-tu déjà réfléchi à ce que c’est qu’évangéliser un homme ? Évangéliser un homme, vois-tu, c’est lui dire : Toi aussi, tu es aimé de Dieu dans le Seigneur Jésus. Et ne pas seulement le lui dire, mais le penser réellement. Et ne pas seulement le penser, mais se comporter avec cet homme de telle manière qu’il sente et découvre qu’il y a en lui quelque chose de plus grand et de plus noble que ce qu’il pensait, et qu’il s’éveille ainsi à une nouvelle conscience de soi... »
Voilà un beau programme pour notre marche !
Mardi 14 avril : journée à Blond. À notre arrivée, nous allons nous présenter à la mairie pour expliquer notre démarche. Les dames qui nous accueillent sont quelque peu surprises que nous n’ayons prévu ni logement ni nourriture mais elles nous écoutent avec attention. Après quelques tentatives infructueuses d’obtenir de quoi manger le midi, nous frappons à la porte de chez Françoise.
Elle ouvre, sort et écoute notre demande et les raisons de notre démarche. « Ben c’est super ! Je vais voir ce que je peux vous donner ». Elle revient avec un sac, dans lequel elle a partagé ce qu’elle mange elle-même… pain de pauvreté au goût d’éternité... Puis elle vient s’asseoir avec nous :
- Je ne vous ai même pas demandé qui vous êtes, vous ne seriez pas d’Église vous ?
Un bel échange commence. L’une de nous lui demande :
- Et vous ? Vous croyez en quelqu’un ?
- Je suis animiste, enfin je crois que Dieu est présent dans sa création, car en général c’est la nature qui m’apaise et me parle. Elle nous partage sa vie, les hauts et les bas et combien de fois elle a trouvé soutient et consolation dans la nature. Nous nous quittons et la confions au Seigneur.
Commentant le texte de l’Évangile de Saint Luc 10, 1-22 cité en titre qui relate l’envoi des disciples en mission par Jésus, Monique Rosaz dit : « il y a deux catégories de gens dans ce texte, ceux qui marchent sur la route et ceux qui sont dans les maisons. Ceux qui sont sur la route n’ont rien sinon un bien immense à apporter : la paix. Et peut-être ont-ils faim… Ceux qui sont dans les maisons ont ce qu’il faut pour vivre, et peut-être ont-ils faim d’autre chose. Alors, l’échange est possible… et la relation peut s’établir. L’apôtre se rend dépendant de son hôte et lui apporte la consolation : « paix à cette maison ».
Cette route de la rencontre et de l’amitié a été l’occasion pour nous d’expérimenter la joie d’être interdépendants, la joie de donner, la joie de recevoir, la joie de l’échange avec nos hôtes lorsque ceux-ci tout comme nous, avaient faim de quelque chose. Alors, l’échange a été possible.
Mercredi 15 avril : « Aujourd’hui, nous irons à Bellac ! » Chaque jour, nous prenons le temps de prier ensemble, pour nous rendre disponible à ce que nous inspire l’Esprit Saint: c’est une belle expérience de discernement communautaire. Chaque jour, nous sommes émerveillées de voir comment le Seigneur nous guide : d’un lieu à un autre, d’une personne à l’autre. Alors, nous expérimentons la Bonté et la Beauté de Dieu qui se manifestent dans toute sa création.
« Le vent souffle où il veut, tu entends sa voix, mais tu ne sais pas d’où il vient, ni où il va, le vent. » Jn 3, 8
C’est le milieu du jour, alors notre « mère » commence à demander de quoi manger. Sur la place de ce bourg, peu d’animation, les commerces de la rue piétonne sont presque tous fermés, vides. Un groupe de jeunes de 12 à 14 ans sont là. L’une d’entre eux, Jeanne, nous dit : « Qu’est-ce que vous faites ? » « Nous demandons de quoi manger pour ce midi ». Les uns et les autres s’arrêtent comme intrigués. Nous commençons un échange. Jessica qui semblait un peu plus en retrait, et croquait sa pomme, tend le bras, sa pomme à la main et tout spontanément dit : « si tu veux en croquer un bout ! ». Cette fois c’est nous qui restons interloquées… Nous venons à parler de Jésus. « Nous aussi, on connaît Jésus, nous sommes évangéliques ». Elles nous chantent quelques refrains bibliques.
« Allez chez ma mère, elle vous donnera quelque chose à manger. C’est la maison aux volets bleus. »
Nous nous dirigeons donc vers ce lieu. Notre « mère » frappe et demande. Mais nous ne recevons rien. Nous partons. Dans l’après-midi, nous rencontrons à nouveau, nos amis dans le magnifique jardin public. De suite, Jessica nous pose la question : « Alors vous êtes allées à la maison ? » « Oui », « Maman vous a donné ? » « Non ». Jeanne est déçue. Nous prenons le temps du dialogue avec eux, pour leur expliquer que sa maman a été sûrement surprise, un peu méfiante, avec de la peur et qu’elle n’avait peut-être pas le temps. « Tu vois, maintenant, on se connaît plus, car nous avons parlé, chanté ensemble. » Comme une envolée d’oiseaux, ils sont tous partis jouer, pêcher au bord du fleuve.
« Qui donc est le plus grand dans le Royaume des cieux ? Appelant un enfant, il le plaça au milieu d’eux et dit : « En vérité, je vous le déclare, si vous ne changez et ne devenez comme les enfants, non, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux. Celui-là donc qui se fera petit comme cet enfant, voilà le plus grand dans le royaume des cieux. » Mt 18, 2.4
Le soleil était haut déjà et la chaleur bien réelle, la soif se fit sentir. À cet endroit se trouvaient deux maisons. Nous frappons à une porte pour demander un verre d’eau. La fenêtre du premier s’ouvre, et au récit de notre demande Valérie, avec un grand sourire, nous invite à monter chez elle. Elle nous accueille en toute simplicité avec son fils Bastien, nous nous asseyons et faisons connaissance. Son fils qui passe son bac cette année, a entendu notre demande et s’exclame avec enthousiasme : « Mais c’est génial ; vous faites comme les gars de la télé qui partent à la rencontre des autres ! » À croire que cette forme de rencontre parle aux plus jeunes aujourd’hui. Puis nous restons seules avec Valérie, qui nous partage que dans deux jours elle subira une grosse intervention chirurgicale risquée. Elle a très peur, car elle ne voudrait pas laisser ses fils orphelins… elle-même sait ce que cela veut dire être sans parent.
- Qu’est-ce qui vous donne la force ? L’espérance ?
- Hier je suis allée mettre 3 cierges dans une église… C’est important pour moi, même si je ne pratique pas (…) Et puis votre passage dans ma maison, c’est pour moi aujourd’hui un signe !
Jeudi 16 avril : « Bonjour, nous faisons une marche de l’amitié et de la rencontre. Nous quêtons notre nourriture. Est-ce que vous auriez quelque chose à partager ? » Avec une mine interrogative et perplexe, Jean-François cherche à comprendre notre démarche mais cela ne semble pas entrer dans ses catégories. Malgré tout, il ouvre sa maison et nous invite à sa table. Avec son épouse, nous partageons un très beau moment. Elle nous raconte son itinéraire de vie : les sœurs qui l’ont élevée, et cette jeune sœur qui lui apprenait à faire du patin à roulette (à son évocation elle en a les larmes aux yeux), ses quatre enfants, le divorce, sa famille recomposée, son amertume aujourd’hui face à sa maladie et à l’ingratitude des gens de cette région : « je perds ma joie ». À plusieurs reprises dans la conversation, elle dit « Je crois que je vous aie tout dit », puis avant notre départ de conclure : « cela m’a redonné de l’énergie d’évoquer tout cela avec vous, merci. »
Vendredi 17 avril : « il n’y a pas de hasard ». Ce jour-là, nous avons froid et faim mais nous goûtons encore une fois la Providence de Dieu lorsque Solange et son mari nous font entrer et s’empressent d’aller chercher des gilets en laine pour nous en vêtir puis en toute simplicité nous partagent leur repas. Ils évoquent leur vie de labeur, les enfants et surtout, surtout la chance qu’ils ont eu de se rencontrer et de s’aimer hier et aujourd’hui. Oui ils rayonnent de cet amour paisible, que les années et les épreuves a buriné et affermi. Perles de vie qu’ils nous offrent en cadeau. Avant de reprendre la route, l’une de nous propose que nous nous bénissions mutuellement. Un moment inoubliable pour chacun d’entre nous : c’est le Christ présent au milieu de nous qui nous offre par le frère la parole dont nous avons besoin aujourd’hui : souhait de paix pour l’une, confiance, persévérance, joie… pour faire de chacun à sa manière unique, un témoin de l’espérance offerte par le Ressuscité.
Notre marche se termine par une prière d’action de grâce dans la même église d’où nous sommes parties cinq jours plus tôt. Toutes les personnes qui nous ont hébergées sont là. Les mots sont pauvres pour exprimer notre joie : joie de l’annonce de la Parole à travers la rencontre toute simple, joie de la communion fraternelle, joie d’avoir rencontré des personnes engagées dans l’Église et des personnes qui ne la fréquentent pas.
Loué sois-tu mon Seigneur avec toutes tes créatures !
Sœurs Lætitia, Magali et Suzanne